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Protection de la nation et construction de la nature Une histoire des parcs nationaux français depuis 1960 (Cévennes, Pyrénées et Vanoise) Guillaume Blanc À travers l’histoire des parcs nationaux, Guillaume Blanc éclaire combien les paysages français ont été – et demeurent – un enjeu de la construction d’une certaine identité nationale. Symboles de continuité et de permanence des traditions, ces parcs ont cependant connu depuis les années 1960 des modes de gestion différenciés, les années 1980 marquant le passage d’une « culturalisation de la nature » à une « naturalisation de la culture ». Du monument au bâti vernaculaire, des traditions orales aux pratiques et savoir-faire, il est aujourd’hui une quantité infinie d’objets de culture qui peuvent être patrimonialisés. Porteurs de représentations collectives propres au groupe qui s’en empare, ceux-ci sont depuis le 19e siècle largement investis par des instances nationales soucieuses de préserver, et au besoin de créer un passé qui leur garantisse à la fois origines et avenir 1. Les sciences sociales ont su identifier les idéaux nationaux et nationalistes qui accompagnent ces processus, en Occident comme dans les Suds, en ville comme à la campagne. On peut ainsi apprendre avec François Walter et Simon Schama de quelle façon certains paysages naturels y sont devenus méta- phores vivantes de la nation 2. Lorsque l’on se concentre sur ces rapports sociaux à la nature, force est cependant de constater que les parcs nationaux français semblent faire exception. Hormis celui des Cévennes bien souvent étudié sur le registre de la singularité puisque parc habité 3, une image d’« espaces-musées 4 » aux préoccupations strictement préservationnistes paraît prévaloir. C’est pourtant une histoire sensiblement autre que nous livrent les rapports d’activités et programmes d’aménagement des parcs, ainsi que les informations et sentiers par le biais desquels ces derniers guident leurs visiteurs. Ces sources nous montrent que si les gestionnaires des parcs s’efforcent dès leurs débuts de soustraire des milieux naturels aux mutations de la société urbaine contemporaine, divers marqueurs identitaires, ceux dits traditionnels, y font également l’ob- (1) Dominique Poulot, Une histoire du patrimoine en Occident, Paris, PUF, « Le nœud gordien », 2006. (2) François Walter, « La montagne alpine : un dispositif esthétique et idéologique à l’échelle de l’Europe », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 52 (2), 2005, p. 64-87 ; Simon Schama, Landscape and Memory, New York, Knopf, 1995 ; trad. fr., id., Le Paysage et la mémoire, trad. de l’angl. par Josée Kamoun, Paris, Seuil, 1999. (3) Citons à titre d’exemple le récent volume de Géocarrefour, « Les parcs nationaux entre conservation durable et développement local », 82 (4), 2007. Abordant des problématiques telle que l’affirmation de la souveraineté nationale marocaine par le biais de la patrimonialisation des montagnes de l’Atlas, il est significatif que la seule zone périphérique du parc national des Cévennes soit retenue pour le cas français. (4) Jean-Robert Pitte, Histoire du paysage français : de la préhistoire à nos jours, Paris, Tallandier, 2003, p. 352. VINGTIÈME SIÈCLE. REVUE D’HISTOIRE, 107, JUILLET-SEPTEMBRE 2010, p. 131-144 131