Mines et métallurgies en Gaule
à la fin de l’âge du Fer et à l’époque romaine
Claude DOMERGUE,Vincent SERNEELS, Béatrice CAUUET,
Jean-Marie PAILLER, Simon ORZECHOWSKI
Claude DOMERGUE est Professeur émérite, membre de l’Unité Toulousaine d’Archéologie et d’Histoire (UTAH), université
de Toulouse-Le Mirail (CNRS - UMR 5608). Il travaille plus spécialement sur les mines et métallurgies antiques, principalement
à l’époque romaine, dans la péninsule Ibérique et le sud de la France. Actuellement, il travaille plus spécialement sur le
commerce des métaux et les questions de provenance. Il est notamment l’auteur des Mines de la péninsule Ibérique dans
l’Antiquité romaine (collection de l’École française de Rome, vol. 127, 1990) ; co-éditeur (avec J.-M. Blazquez et P. Sillières)
et co-auteur de La loba (Fuenteobejuna, Cordoue, Espagne). La mine et le village minier antiques (Ausonius-Publications,
2002).
Vincent SERNEELS travaille au Département de Géosciences de l’université de Fribourg (Suisse), dans le groupe de
recherche d’archéométrie. Ses travaux portent essentiellement sur l’étude au laboratoire des scories et autres déchets de la
métallurgie du fer et, plus largement, sur le rôle des métaux et l’organisation des industries minières et métallurgiques dans
les sociétés anciennes.
Béatrice CAUUET est Chargée de recherche au CNRS (UMR 5608, Toulouse) et responsable de l’Axe “Histoire et
archéologie du métal” de l’UTAH. Elle est spécialiste en archéologie minière et métallurgique des époques préromaines et
romaines, avec comme terrain d’application privilégié, ces quinze dernières années, le Limousin et ses mines d’or gauloises
révélées par des programmes de fouilles programmées et préventives. Ces dernières années, elle a dirigé des missions
d’inventaire et d’exploration de mines d’or pré-romaines et romaines au Pays de Galles (site de Dolaucothi) et dans l’Ardenne
belge. Depuis 1999, elle dirige une mission archéologique internationale en Roumanie sur les mines d’or et d’argent de la
Dacie romaine à Rosia Montana (N-O Roumanie). Depuis 2003, B. Cauuet s’est intéressée aux mines anciennes du Morvan et
est responsable, en 2005, d’un programme sur les mines antiques de la cité des Éduens au sein des programmes de Bibracte.
Elle travaille actuellement sur deux monographies concernant les sites miniers majeurs du Limousin et à des synthèses sur
les mines d’or antiques de la Gaule et d’Europe.
Jean-Marie PAILLER est Professeur d’Histoire Ancienne (Antiquités nationales) à l’université de Toulouse II-le Mirail,
membre de l’Institut Universitaire de France et membre de l’UTAH (CNRS - UMR 5608). Il a principalement fouillé en
France (notamment sur le site sidérurgique des Martys, Aude), en Italie, en Tunisie et en Espagne. Il est l’auteur notamment
de Bacchanalia (EFR, 1988) ; Bacchus : Figures et pouvoirs (les Belles Lettres, 1995) ; Les mots de la Rome antique
(PUM, 2002) ; Tolosa : Nouvelles recherches sur Toulouse antique et son territoire (EFR, 2002) et de nombreux articles
scientifiques, dont le dernier : Quand l’argent était d’or. Paroles de Gaulois (Gallia 2006, sous presse).
Simon ORZECHOWSKI est Maître de conférence d’Archéologie et l’Histoire à l’université de Kielce (Pologne), spécialiste
de la sidérurgie antique de la montagne Sainte-Croix (Pologne) : techniques, population, aspects socio-économiques.
Pied-de-page
rédiger
PAUNIER
(D.)à dir.
— Celtes et Gaulois, l’Archéologie face à l’Histoire, 5 : la romanisation et la question de l’héritage celtique. Actes de la table
ronde de Lausanne, 17-18 juin 2005. Glux-en-Glenne : Bibracte, Centre archéologique européen, 2006, p. 131-162 (Bibracte ; 12/5).
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
RÉSUMÉ
ABSTRACT
On présente d’abord un bilan de l’activité minière en
Gaule, à l’époque gauloise et après la conquête romaine. À
la première période, l’exploitation de l’or (Limousin) et du
fer (centre et centre-ouest) a été importante, celle du plombargent et du cuivre beaucoup moins. À l’époque romaine,
les mines d’or du Limousin sont stoppées ; les mines de fer
se développent, celles de plomb-argent et de cuivre également, mais moins. L’étain reste un problème pour les deux
périodes, malgré les traces d’exploitation romaine en Bretagne. Subsistent aussi des inconnues : les mines “anciennes”
qui sont encore mal datées et peuvent révéler des surprises.
Globalement cependant, l’activité minière a été plus forte à
l’époque romaine qu’à l’époque gauloise.
Le niveau technique des mines (cf. Limousin) et des
métallurgies gauloises (cf. centres sidérurgiques de l’Yonne
et de la Sarthe) a été élevé. Les mines gallo-romaines ont
sûrement bénéficié du savoir-faire acquis par les mineurs
gaulois. Le point de vue est un peu différent si on considère
globalement l’art des mines romain : de quelles techniques
typiquement gauloises s’est-il enrichi ? L’art des mines en
général est d’abord constitué d’un savoir-faire ancestral,
dont l’origine reste obscure : on le fait remonter aux mines
de silex néolithiques. Le cas est différent lorsqu’il s’agit de
techniques spécifiques dont on peut établir le lieu et la date
d’origine. On peut ainsi s’interroger sur la possible origine
gauloise (ou celtique) du travers-banc d’exhaure, de telle
méthode de boisage, de l’exploitation hydraulique de gisements alluviaux ou de tel type de fourneau de réduction
du fer.
Toute production suppose une organisation. Le développement des mines après la conquête doit beaucoup à
l’organisation romaine, que révèlent à la fois l’archéologie
(Montagne Noire, Morvan) et l’épigraphie (ferrariae). Une
organisation gauloise antérieure semble aussi transparaître
dans des toponymes ou des noms de magistrats galloromains.
First of all we present an assessment of mining activity
in Gaul, in the Gaulish period and after the roman conquest.
In the first period, the working of gold (Limousin) and iron
(centre and west centre) was important, the mining of leadsilver and copper a lot less so. In the roman period, the gold
mines of Limousin were closed; the iron mines developed,
the lead-silver and copper mines also developed, but not to
the same extent. Tin remains a problem for both periods, in
spite of traces of roman tin works in Brittany. There are also
unknown mines: “ancient” workings which are still poorly
dated and may reveal surprises. Overall however, mining
activity was stronger in the roman period than it was in the
Gaulish period.
The technical level of mining (cf. Limousin) and metallurgy (cf. Iron and steel centres of the Yonne and the Sarthe)
was high. The gallo-roman mines undoubtedly benefited
from the established skills of Gaulish mining. The viewpoint
is a little different if we look at the roman art of mining
overall. Which were the typically Gaulish techniques that
enriched it? The art of mining in general is first and foremost an ancestral skill, whose origins remain obscure: it is
assumed to date back to Neolithic flint mining. This is not
the case when it comes to specific techniques for which a
place and date of origin can be established. We can examine the possible Gaulish (or Celtic) origin of cross-cut water
extraction, a particular method of timbering, the hydraulic
working of alluvial deposits or a particular type of iron
reducing furnace.
All production involves organisation. The development
of mining after the conquest owes a lot to roman organisation, and this is shown both by archaeology (Montagne
Noire, Morvan) and epigraphy (ferrariae). An earlier Gaulish organisation also seems to show through in the place
names or names of gallo-roman officials.
•
132
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
Nous prenons en compte ici la Gaule de la fin
de l’âge du Fer, telle que la représente le livre IV
de la Géographie de Strabon : un vaste territoire,
compris entre l’Océan Atlantique, la mer du Nord,
le Rhin, les Alpes, la Méditerranée, les Pyrénées. Il
est occupé principalement par des Celtes, à l’exception de la partie comprise entre la Garonne
et les Pyrénées, habitée par les Aquitains. À la fin
de l’âge du Fer, ces peuples sont globalement de
culture Laténienne. La partie sud-est est marquée
depuis longtemps par ses contacts avec les civilisations méditerranéennes et devient province
romaine à partir de la fin du IIe s. av. J.-C.
C’est dans ce cadre que nous avons choisi
d’examiner ce qu’a pu être la part de l’héritage
celtique – ou “laténien” – dans l’art romain des
mines et de la métallurgie extractive. Les techniques utilisées pour la fabrication des objets en
métal, c’est-à-dire la métallurgie dite de transformation par opposition à la métallurgie extractive,
ne seront pas abordées dans cette contribution. Le
territoire considéré ne manquait pas de gisements
métallifères, même si Strabon le dit moins riche
dans ce domaine que l’Ibérie voisine. Des recherches récentes font qu’aujourd’hui on connaît
mieux, et parfois avec précision, les mines gauloises. Il s’agira d’abord d’apprécier l’importance et
la nature de ces dernières par rapport à la période
romaine, ensuite d’examiner si l’art des mines et
de la métallurgie des Gaulois a pu marquer celui
des Romains : Num Gallia capta cepit ferocem
victorem ? Nous verrons qu’il est relativement plus
aisé de discuter cette possibilité à propos des techniques, tandis que les structures d’organisation
de la production, qui ont sûrement existé dans
le monde gaulois, ne sont plus sensibles dans la
Gaule romaine au dernier siècle de la République
et sous le Haut-Empire, sauf peut-être à l’état de
traces, par exemple dans la toponymie ou dans le
nom de certaines magistratures civiques encore
attestées à l’époque romaine.
GÉOGRAPHIE MINIÈRE DE LA GAULE À LA
FIN DE L’ÂGE DU FER
ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
Les métaux jouent un grand rôle dans la
Gaule de la fin de La Tène. Les textes, certains
toponymes, l’archéologie, les expositions (Duval,
Heude 1983 ; Mohen, Olivier 1989 ; etc.) le montrent à l’envi. Les peuples ont leur monnayage :
statères d’or, billons d’alliages cuivreux, mon-
naies de bronze, pièces d’argent. Les Gaulois,
dit Strabon (IV, 4, 5), se couvrent d’objets en or,
torques et bracelets (Diodore, V, 27, 3-4). L’autre
métal précieux, l’argent, semble avoir moins eu
leur faveur (Molière 2002, p. 182-192), sauf sous
forme d’objets importés du monde méditerranéen
et de monnaies, et le plomb, dont la production
accompagne communément celle de l’argent,
apparaît bien rarement dans les habitats. Les
objets en bronze – bijoux (torques et fibules), casques, chaudrons – sont fréquents, à l’exception
de la statuaire. Mais le métal le plus abondant est
sans nul doute le fer : armes, outils d’artisans et
de laboureurs, mors et harnais de chevaux, longs
clous pour l’armature des murailles du type murus
gallicus, objets domestiques (jusqu’aux chenets
comme ceux de Boé dans le Lot-et-Garonne,
pesant chacun plus de 50 kg : Boudet 1996).
Pour fabriquer ces objets, il a fallu des métaux,
que les Gaulois pouvaient se procurer de trois
façons :
– Par le recyclage d’objets plus anciens, en
particulier pour l’or et le bronze. Mais, pour
le fer, c’est plus problématique : la corrosion,
l’entretien des armes et des outils diminuent
le stock de métal disponible, et le recyclage
est difficile. D’autant qu’à l’époque de La
Tène, le fer en Gaule était loin d’être aussi
abondant qu’il le deviendra progressivement
jusqu’à l’époque romaine (Serneels 2004) ;
– Par les échanges, mais on sait peu de
chose sur le sujet pour cette période, sinon
qu’au moins pour le fer, ils existaient : les
“Doppellspitzbarren”, et surtout les barres
allongées – “currency bars” et autres (Doswald
1994) – circulaient dans le monde laténien,
mais on ne sait pas dans quels sens. Quant
aux lingots de plomb ibériques de l’épave de
l’île Brescou près d’Agde (Parker 1992, n° 16)
et aux lingots d’étain de l’épave Bagaud II (fin
IIe/début Ier s. : Long 1987), ils sont sans doute
à rattacher au commerce méditerranéen ;
– Par la production minière. Nous sommes quelque peu renseignés là-dessus, et c’est le thème
de notre contribution. À la fois pour apprécier
l’importance des mines et des métallurgies
laténiennes de Gaule et pour pouvoir comparer les deux périodes, nous dresserons les
inventaires respectifs de l’état de l’activité
minière à la fin de La Tène et à l’époque
romaine (Domergue, Leroy 2000 ; Domergue
2004).
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CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
L’or (ill. 1 et 2)
L’orpaillage dans le lit des cours d’eau aurifères
ne laisse pas de trace, mais c’est la manière la plus
immédiate de se procurer de l’or et l’on peut supposer que les rivières des Pyrénées (Ariège, Salat),
et des Cévennes (Gardons), celles de Bretagne
et le Tarn “aux sables d’or” (Ausone, Mosella,
v. 465) ont été exploitées de la sorte tout au long
des périodes considérées. Entre autres rivières,
Diodore (V, 26-27) le suggère pour le Rhône (cf. cidessus ses affluents cévenols) et pour le Rhin. Par
ailleurs, l’orpaillage est historiquement attesté sur
le Rhin, en aval de son confluent avec les rivières
qui descendent des Alpes suisses ainsi qu’entre
Bâle et Mayence (Lehrberger 1995, p. 123-125).
À l’époque préromaine, Posidonius (Strabon,
IV, 2, 1) mentionne des mines d’or, en roche,
semble-t-il, d’après le verbe employé (oruttein),
dans les Pyrénées Occidentales, chez les Tarbelli.
Aujourd’hui, la prospection archéologique y ajoute,
près de Cambo-les-Bains, l’exploitation hydraulique
de dépôts alluviaux anciens, avec des techniques
qui rappellent celles du nord-ouest de l’Espagne
sous le Haut-Empire romain, mais actuellement ces
travaux ne sont pas datés (Cauuet 2001, p. 32-40 ;
2005, p. 251-253). La découverte des mines gauloises du Limousin est l’événement de ces dernières
1. Les mines d’or en Gaule à l’époque gauloise (V. Serneels del.).
Seules les rivières aurifères mentionnées dans les sources écrites ont été reportées.
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MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
années ; ces mines en roche sont remarquables
par leur cohérence, la durée de leur exploitation
(Ve-Ier s. av. J.-C.) et la maîtrise technique tant des
mineurs que des métallurgistes (Cauuet 1995 ;
1999a ; 2001 ; 2004). On en compte plus de mille,
concentrées dans quatre départements (Dordogne,
Haute-Vienne, Corrèze, Creuse) ; trois d’entre elles,
sont particulièrement bien connues : Cros Gallet
(La Tène ancienne et moyenne), La Fagassière et les
Fouilloux (La Tène moyenne et finale). Dans cette
même région, ont aussi été repérés des travaux en
alluvion, imprécisément datés. Enfin, en Bretagne, le
filon aurifère des Miaules a sans doute été exploité
dans l’Antiquité, mais sans qu’on puisse dire à
quelle époque précisément (Aubin 1999, p. 415 ;
Cauuet 2005, p. 242-243). D’une façon globale, le
lien entre le monnayage en or des peuples d’Armorique (Barrandon, Aubin 1994, p. 266-267) – et plus
globalement de la Gaule – et le métal éventuellement produit par l’exploitation des filons aurifères
régionaux, n’est toujours pas élucidé.
Avec l’occupation romaine, les mines du
Limousin sont brusquement stoppées. Néanmoins,
dans les Mauges (La Bellière, Maine-et-Loire) et
dans la Sarthe, de petites mines en roche semblent
avoir été exploitées à l’époque gallo-romaine,
de même que dans l’Ariège au IIIe-IVe s. ap. J.-C.
(Cauuet 2001, p. 41-48).
2. Les mines d’or en Gaule à l’époque romaine (V. Serneels del.).
Seules les rivières aurifères mentionnées dans les sources écrites ont été reportées.
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CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
D’autres travaux anciens, entre autres en
Auvergne (par exemple à La Bessette : Cauuet
2005, p. 250-251) et dans l’Ardenne belge (massifs
du Serpont et de Stavelot) sont encore mal datés.
Dans cette dernière région, subsistent les restes
de vastes lavoirs d’alluvions aurifères ainsi que
des centaines de “tertres d’orpaillage”, dont les
premiers essais de datation manquent encore de
précision ; mais, un 14C effectué sur un fragment
de cadre de boisage recueilli dans une galerie
de la mine à ciel ouvert du Crô des Massotais a
fourni une date du IIIe-Ve s. ap. J.-C. (Cauuet 2005,
p. 254-257).
Avant la conquête, les ressources en or de
la Gaule semblent avoir été intensément exploitées. Sous la domination romaine, on perçoit un
certain ralentissement de l’activité. Le rôle de la
Gaule pour la production d’or au cours de l’âge
du Fer paraît avoir été réellement important.
Curieusement, dans le monde romain, la Gaule
semble perdre ce rôle.
L’argent et le plomb (ill. 3 et 4)
Comme on le sait, ces deux métaux sont
liés puisque généralement la galène, principal
minerai de plomb, est argentifère. On ne dispose
que de peu d’informations archéologiques sur
l’exploitation des gîtes plombifères de Gaule
à l’époque pré-romaine, malgré le témoignage
de Posidonius recueilli par Strabon (IV, 2, 2) sur
les mines d’argent des Gabales et des Rutènes.
Néanmoins, en Auvergne, l’exploitation de filons
de plomb argentifère est datée à La Minayre
(Lubilhac, Haute-Loire) de La Tène D2 par la
céramique et à La Rodde (Ailly, Haute-Loire) par
des datations 14C effectuées sur des boisages
du premier et du second âge du Fer (Vialaron
1999, p. 72 et 116-117 ; Cauuet, Domergue, Urteaga
2005, p. 432-436). Il y a peut-être des indices dans
le Mont Lozère, chez les Gabales (Ploquin et
al. 2003, p. 642) et dans les Pyrénées centrales
(massif du Montaigu, Haute-Garonne : recherches de J. Girard en cours). Les études sur les
monnayages d’argent, par exemple celui des
Coriosolites, en Bretagne, suggèrent, au vu des
analyses, l’exploitation des petites mines de
la région (Gruel, Gale 1982), et on a invoqué
quelques indices en faveur de l’activité de certaines d’entre elles à cette époque (Galliou 1982,
p. 21-22). Les mines de l'Eifel semblent aussi
alors connaître un début d’exploitation (von
Petrikovitz 1958 ; Körlin, Gechter 2003, p. 248).
136
Les gisements vosgiens n’ont pas été touchés
(Fluck 1993, p. 287), pas plus, apparemment, que
ceux des Alpes, à l’exception, semble-t-il, de celui
de Goppenstein (Valais, Suisse : Guénette-Beck
2005) ou de la bordure cévenole. Pour l’instant
donc, l’exploitation du plomb et de l’argent ne
semble pas avoir intéressé fortement les Gaulois
et cela correspondrait à ce que nous avons dit
plus haut de l’usage de ces métaux en Gaule. Par
ailleurs, il faut bien reconnaître que la richesse
en gîtes d’argent de la Gaule reste bien inférieure
à celle de la péninsule Ibérique.
L’époque romaine marque un changement
assez sensible. Dans le Midi d’abord, où dès la
fin du IIe et du début du Ier s. av. J.-C., les mines
de la Provincia, ou proches de la Provincia, sont
mises en exploitation (Ambialet, Tarn : Lautier
1975, p. 84-89 ; Villefranche-de-Rouergue, Aveyron :
Daubrée 1881, p. 205 ; Morasz 1989) et cela dans
le cadre romain, au moins pour celles de la haute
vallée de l’Orb, comme en témoigne la Societas
Argentifodinarum Rotonensium mentionnée sur
les tessères de Lascours (Gourdiole, Landes 1998,
p. 57-61). Puis, sous l’Empire, la mise en valeur
s’étend dans les Cévennes, par exemple dans
la région de Vialas (Gard) et du Bleymard, en
Lozère (Prassl 1997). Elle se poursuit dans les
mines d’Auvergne déjà signalées au paragraphe
précédent, auxquelles on ajoutera Pontgibaud
(Puy-de Dôme : Marconnet, à paraître) et les indices du Kaymar au nord de Rodez dans l’Aveyron
(Abraham 2000).
Les Vosges continuent d’être ignorés, mais
plus au nord, dans le massif schisteux rhénan, aux confins de la Gaule Belgique et des
Germanies, les mines de plomb de l’Eifel
(Mechernich, Stolberg) ainsi que celles qui
se trouvent sur la rive droite du Rhin près de
Cologne – Lüderich/Rosrath et Sibengebirge
(Körlin, Gechter 2003) – sont travaillées, parfois avec des indices d’extraction d’argent
(Wiesloch, près de Heidelberg ; Rosrath). Il
semble même que, dans le cours supérieur de la
Lippe, à près de 60 km à l’est du fleuve, dans un
territoire qui, sous Auguste, fut un temps (entre
12 av. J.-C. et 9 ap. J.-C.) sous contrôle romain
avant de retourner dans la Germania libera, les
gisements du Sauerland, à Brilon et à Ramsbeck
(Westphalie) aient été brièvement, mais intensément exploités, d’abord sans doute dans le
cadre d’un district impérial (Rothenhöfer 2003a
et b ; 2004 ; Bode et al. 2003). Entre autres cargaisons de lingots de plomb, celle de l’épave de
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
3. Les mines de plomb-argent, cuivre et étain en Gaule à l’époque gauloise (V. Serneels del.).
Rena Maiore, sur la côte nord de la Sardaigne,
semble attester l’importance de cette production : ils portent l’estampille moulée AVGVSTI.
CAESARIS. GERMANICVM, qui les date de l’époque d’Auguste et ne peut concerner que le
(plumbum) Germanicum (Riccardi, Genovesi
2002).
Dans les Alpes, sont à signaler les témoignages d’exploitation de Mâcot-La Plagne en
Haute-Savoie (Gimard 1987), et de Siviez dans le
Valais, en Suisse (Guénette-Beck 2005).
Pratiquement partout où cela était possible sur
le territoire de la Gaule, les Romains ont exploité
les mines de plomb et d’argent. Là où des mines
plus anciennes existaient, on observe une intensification. Dans certaines régions, les Romains
pourraient être les initiateurs de l’activité minière.
Pour autant que l’on puisse en juger, la Gaule n’a
pas été une région majeure pour la production
d’argent pendant l’Antiquité.
Le cuivre (ill. 3 et 4)
« La France, a-t-on dit, est un domaine avec
peu de minéralisations en cuivre » (Leblanc 1997,
p. 21). Si l’on ajoute, avec ce même auteur, que
lorsqu’on parle de mines, il faut avoir à l’esprit des
gisements exploitables – car, quelle que soit l’époque considérée, la notion d’économie intervient,
– on ne s’étonnera pas qu’en Gaule, les mines de
ce métal soient rares et que, du début de l’âge des
métaux à l’époque romaine, elles le deviennent
plus encore.
Le sud de la Gaule a connu un certain nombre d’exploitations très anciennes, dont deux
au moins remontent au Chalcolithique : celles
de Cabrières (Hérault) et Saint-Véran dans les
Hautes-Alpes (Barge 1997). Le site de BoucoPayrol (Aveyron) paraît un peu moins ancien : âge
du Bronze (Ambert et al. 1996). On ne sait rien sur
la production de cuivre à l’âge du Fer.
137
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
4. Les mines de plomb-argent, cuivre et étain en Gaule à l’époque romaine (V. Serneels del.).
En Gaule, on connaît peu de mines de cuivre d’époque romaine. Pline l’Ancien (Histoire
Naturelle, 34, 3, 4) parle du cuivre “sallustien”
exploité en Gaule (Transalpine ou Cisalpine ?) et
du cuivre “livien” dans les Alpes, mais ces mines
ne sont pas identifiées. Quant aux mines archéologiquement documentées, elles sont en général
de peu d’importance. Seule, à l’extrémité occidentale des Pyrénées, la mine de Banca près de
Saint-Étienne-de-Baigorry (Pyrénées-Atlantiques)
semble avoir eu une grande longévité (Ancel
et al. 2001 ; Cauuet, Domergue, Urteaga 2005,
p. 438-440). Ailleurs, de petites mines sont en
activité dans les Pyrénées ariégeoises (région
du Séronais : Guilbaut 1981 ; Dubois, Guilbaut
1982 ; Dubois, Guilbaut, Tollon 1997, p. 203-209),
dans la Montagne Noire (Les Barrencs : Guilbaut,
Landes 1977, p. 48-51) et dans la haute vallée de
l’Orb (Maynes : Gourdiole, Landes 1998, p. 56). À
Cabrières (Pioch-Farrus IV : Gourdiole, Landes
1998, p. 53-55) et à Bouco Payrol, l’exploitation
138
reprend (Ier av. et Ier s. ap. J.-C.). Mais c’est peu
de chose, comme d’ailleurs dans le nord-est, où
la mine de cuivre de Wallerfangen (Sarre) a dû
être exploitée aussi pour l’azurite (Daubrée 1868,
p. 304 ; Weisgerber 2001).
Les ressources en cuivre de la Gaule sont
donc limitées. La quasi-absence de témoignages
archéologiques pour la période précédant la
conquête reste cependant à expliquer. Les vestiges d’époque romaine laissent entrevoir une
exploitation d’importance secondaire, surtout si
on la compare aux immenses exploitations de la
péninsule Ibérique ou de Chypre.
L’étain (ill. 3 et 4)
Aucune exploitation préromaine d’étain n’est,
à l’heure actuelle, connue en Gaule. Rien en
Bretagne : s’il a existé des îles Cassitérides, plaque
tournante d’un commerce de l’étain atlantique
à l’époque protohistorique, il est plus plausible
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
qu’elles aient été situées dans la Cornouaille
britannique que sur le littoral breton. Dans le
Limousin, les antiques mines en roche de Vaulry
ne sont pas datées (Daubrée 1868, p. 305-306 ; 1881,
p. 274-284 ; Davies 1935, p. 83), pas plus que les
chantiers en alluvion des Monts de Blond (HauteVienne) et de Montebras (Creuse) ; pas davantage,
ceux des environs d’Autun (Tamas, Cauuet 2004 ;
Tamas et al., à paraître). Ceux des Monts de Blond
se trouvent au voisinage des mines d’or gauloises,
et cette proximité pourrait faire penser qu’ils sont
contemporains de ces dernières.
Dans la Viadène (nord Aveyron), les vestiges
d’exploitation d’étain alluvial sont ténus et la
chronologie n’est pas assurée : époque gauloise ou
gallo-romaine (Abraham, Morasz 1997) ?
Pour l’époque romaine, on ne connaît guère
que quelques sites d’exploitation sûrs en Bretagne :
il s’agit des gîtes filoniens de La Villeder (Daubrée
1881, p. 331) et surtout d’Abbaretz-Nozay (LoireAtlantique), où ont été recueillis plusieurs vestiges
archéologiques (Galliou 1982, p. 23).
Dans le cas de l’étain également, les ressources sont très limitées en Gaule. Pour le moment,
les connaissances archéologiques sont encore
trop imprécises pour dresser un bilan de la production d’étain antique. D’autres secteurs, la
Cornouaille et le nord-ouest de l’Ibérie en particulier, ont joué un rôle beaucoup plus important
dans la production d’étain
Le fer (ill. 5-7)
De tous les métaux, le fer est celui dont les
centres de production connus sont les plus nombreux, tant pour l’époque préromaine que pour
l’époque romaine (Mangin 2004, p. 12-14 ; Fabre,
Coustures 2005). La Gaule a été le pays du fer, tant
à l’époque celtique (Lacroix 2005, p. 103) qu’à la
période romaine (Mangin 2004).
Les sites des Clérimois, en pays d’Othe dans
l’Yonne (Dunikowski, Cabboi 1995) et de La
Bazoge, près du Mans dans la Sarthe (Dunikowski,
Cabboi 2001) renfermaient d’importants ateliers
de production de fer, dont les plus anciens constituent des témoins remarquables de la première
sidérurgie gauloise, respectivement à partir du
IVe s. av. J.-C. et de l’époque du Hallstatt. À chaque
grande période correspond l’apparition de types
de bas fourneaux différents, illustrés par plusieurs
exemplaires. Sur les deux sites, les périodes de
La Tène moyenne et finale sont bien représentées. Autour des Clérimois, plusieurs autres sites
sidérurgiques de l’âge du Fer ont été identifiés
(Domergue à paraître), en Normandie également,
tandis qu’en Bretagne, entre Saint-Malo et Rennes,
vingt-cinq ans de recherche en ont révélé un très
grand nombre (Vivet, Chauvel, à paraître). Il
existe aussi quelques éléments dans le Jura suisse
(Serneels 2002).
Au Pays Basque, chez les Aquitains, des ateliers
(Errola 3 et 5, commune d’Urepel) sont datés de la
fin de La Tène moyenne, IIe s. av. J.-C. (Beyrie 2003,
p. 199-204 ; Beyrie et al. 2003). Dans les Alpes du
Sud, le Mercantour renferme, à haute altitude, des
amas de scories de fer, de la fin de La Tène (Morin,
Rosenthal 2003). Enfin, l’activité sidérurgique chez
les Pétrocores et chez les Bituriges, mentionnée
par Strabon (IV, 2, 2) d’après le témoignage de
Posidonius ainsi que par César pour les Bituriges
(BG, VII, 22), reste à confirmer par l’archéologie
(Dieudonné-Glad 1992), mais les culots de réduction de Bourges (Avaricum), datés du Ve s. av. J.-C.
constituent déjà d’excellents indices.
Dans d’autres régions, il existe d’innombrables amas de scories dont la datation n’a pas
été récemment réexaminée, par exemple, dans
l’Entre Sambre-et-Meuse (Belgique) et dans la
région de Châteaubriant (Loire-Atlantique). Aussi,
est-il fort probable qu’à l’avenir, d’autres vestiges
pourront être attribués à l’activité aussi bien préromaine que romaine.
À l’époque romaine, districts et centres de
production sidérurgiques fleurissent sur tout le
territoire de la Gaule, sans compter les ateliers
de forge dont nous ne traitons pas. Outre les
sites et les secteurs déjà signalés au paragraphe
précédent et qui ont poursuivi leur activité, il
faut au moins nommer quelques centres (Les
Ferrys, Loiret) et grands districts dont on trouvera
ailleurs (Domergue, Leroy 2000 ; Mangin 2004)
des mentions plus détaillées : la Lorraine (côtes
de Moselle), le Morvan-Auxois, la forêt d’Allogny (Berry), la Montagne Noire (Les Martys),
les Pyrénées (Canigou, Ariège, Baronnies, Pays
Basque), les Corbières (Pauc 1998). Certains de
ces centres sont situés dans la Provincia ou à ses
frontières (Canigou, Corbières, Montagne Noire)
et ont commencé leur activité très tôt au Ier s.
av. J.-C.
L’image que l’archéologie livre de la sidérurgie préromaine est encore très incomplète, mais
elle laisse clairement supposer l’importance de
cette industrie. Une intensification de la production se dessine pour la période de La Tène Finale,
sans qu’il soit actuellement possible de dater
139
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
5. La production du fer en Gaule à l’époque gauloise (V. Serneels del.). La liste des régions est donnée au tableau de la
figure 7 (d’après Serneels, Mangin 1996 ; Leroy 2001 ; Mangin 2004 p. 12-14).
précisément la chronologie et la géographie de
ce développement. Avec la conquête, le mouvement s’accentue fortement. La Gaule se couvre
littéralement d’ateliers de production du fer,
certains de taille gigantesque. Cette importance
transparaît aussi dans les sources épigraphiques
romaines.
DE LA TÈNE MOYENNE ET FINALE
À L’ÉPOQUE ROMAINE : LES TECHNIQUES
La simple énumération qui précède montre la
différence d’échelle entre les deux états : l’activité
minière et métallurgique est, en effet, beaucoup
plus développée à l’époque gallo-romaine, avec
140
une exception : les mines d’or, particulièrement
dans le Limousin. Pour le reste, le nombre des
mines et des centres métallurgiques gallo-romains,
leur dispersion mais aussi leur concentration,
leur localisation, leur développement et leur production – par exemple en trois siècles, 4 000
tonnes de fer aux Clérimois (Dunikowski, Cabboi
1995, p. 131), 80 000 dans le secteur des Martys
(Decombeix et al. 2000, p. 36) – attestent que cette
activité est devenue plus importante.
Mais cela ne signifie pas que l’art des
mines gaulois ait été inférieur en qualité et en
technique. Les spécialistes de cette période se
plaisent à marquer le haut niveau de technicité
et d’organisation qu’il atteint, en particulier
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
6. La production du fer en Gaule à l’époque romaine (V. Serneels del.). La liste des régions est donnée au tableau de la
figure 7 (d’après Serneels, Mangin 1996 ; Leroy 2001 ; Mangin 2004 p. 12-14).
dans les domaines qui sont le mieux connus
actuellement : les mines d’or et la production
de fer. « Entre les VIe-Ve et Ier s. av. notre ère, les
Lémovices se sont attachés à maintenir et à
faire évoluer des techniques minières remarquables et d’une grande technicité pour l’époque »
écrit B. Cauuet (2004, p. 113). « L’image donnée
par les ateliers de la Sarthe [La Bazoge] est
celle d’une production de fer très organisée…
L’intensification de la production de fer et l’organisation de cette activité laissent entendre,
dans le secteur du Mans, une réelle gestion et
probablement un contrôle de ce travail », disent
Chr. Dunikowski et S. Cabboi (2001, p. 199-200),
qui avaient déjà souligné « les techniques de
réduction sophistiquées » apparues dans les
« bas fourneaux de grandes dimensions (type
II) » aux Clérimois à La Tène finale (Dunikowski,
Cabboi 2001, p. 195).
Le problème est maintenant de savoir comment cet art des mines gaulois s’est maintenu
à l’époque romaine et si, plus généralement, on
en retrouve des aspects dans l’art des mines
romain. Nous verrons plus loin ce qu’il en est
de son organisation, dont les propos cités ci-dessus, ont évoqué les aspects proprement liés à la
production. Pour l’instant, intéressons-nous aux
techniques. : l’art des mines et la métallurgie des
Gaulois ont-ils laissé une trace dans ce type d’activités à l’époque romaine ?
141
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
7. Les régions productrices de fer en Gaule au cours de l’Antiquité et du Moyen Âge (V. Serneels fec.).
La numérotation est reprise de Mangin 2004, p. 12-14, qui indique aussi les références bibliographiques les plus
importantes pour chaque région. La qualité des données chronologiques est extrêmement variable d’une région
à l’autre.
Généralités
Nous abordons ici une question délicate, celle
des “transferts technologiques”. Il y a quelques
lustres, Colin Renfrew jetait un pavé dans la mare
des archéologues en montrant que, contrairement
à l’idée reçue d’une Europe intensément soumise
aux influences venues de l’Orient, il y avait ici
et là des foyers de civilisation autonomes, dont
la naissance, sinon le développement, ne devait
rien à ces influences orientales. Un des exemples
choisis intéressait particulièrement les spécialistes
du métal (Renfrew 1983, p. 216) : la mine de cuivre
de Rudna Glava (Serbie), datée par 14C, du tout
début du IVe millénaire, était devenue la mine
métallique la plus ancienne du monde, bien plus
ancienne que celle de Vesnoveh (Iran), qui, datée
de 3 200 av. J.-C., occupait jusqu’alors ce rang.
Rudna Glava ne devait donc rien à l’Orient, elle
illustrait le modèle “évolutionniste” cher à Renfrew.
142
La technologie mise en œuvre dans cette mine et
dans celle, contemporaine, d’Ai-Bunar (Bulgarie)
était un art des mines local, qui utilisait les techniques universellement répandues des mines de
silex de l’époque néolithique (Jovanovic 1982,
p. 144-145). Le minerai exploité était de la malachite, un oxyde de cuivre, facile à réduire sans
qu’on ait à imaginer des transferts de technologie
(Jovanovic 1989).
Cela ne signifie pourtant pas que, dans un
secteur donné, l’art des mines et de la métallurgie
puisse évoluer éternellement de façon autonome :
au fur et à mesure du développement des civilisations, les contacts se multiplient et, tout autant que
les produits, les procédés de fabrication s’échangent et se transmettent (Guilaine 1997, p. 9). Ainsi
R. Pleiner (2000, p. 18-22) adopte un modèle “diffusionniste” pour expliquer l’apparition de la
sidérurgie dans les diverses régions d’Europe à
partir de l’Anatolie. Des procédés spécifiques, des
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
appareils sophistiqués, inventés ici, font faire là un
progrès considérable lorsqu’ils y sont transportés
et adoptés. On sait l’impact que l’art des mines
saxon a eu en Europe à partir du XVIe siècle. Tout
au long de l’histoire des mines, on assiste à ces
emprunts technologiques qui ont toujours pour
but de produire davantage et mieux.
Aussi, avant d’examiner la question de l’héritage gaulois dans la production des métaux à
l’époque romaine, il convient de distinguer deux
choses : d’une part le fonds commun de pratiques “ancestrales”, d’autre part des procédés, des
techniques ou des machines spécifiques. Les premières sont si généralisées et si uniformes qu’il est
souvent vain d’espérer en déterminer l’origine ;
dans le second cas, il en va différemment.
Il existe donc, dans l’art des mines, un stock
de techniques et de procédés qu’on peut appeler
“universels”, qui s’est constitué peu à peu, ici et là,
au cours des âges, dans des conditions comparables de cultures et de gisements, ce qui explique
par exemple que, sur tous les continents et dans
des contextes néolithiques, les gîtes de silex aient
été exploités de la même manière. Un puits de
profondeur suffisante pour atteindre la couche
renfermant les rognons et un réseau de galeries et
de chambres plus ou moins étendu à la recherche
des silex : Grimes Graves, Spiennes, Malaucène,
etc. en sont d’excellents exemples, connus depuis
longtemps (Shepherd 1980, p. 12-107). S’y sont
ajoutés des sites plus récemment étudiés, par
exemple Jabline (Seine-et-Marne : Bostyn,Lanchon
1992) ou, bien loin de là,Wadi-el-Sheikh, en HauteÉgypte (Weisgerber 1982). On a ainsi la preuve
que ces anciens mineurs avaient quelque notion
de la stratigraphie et de la distinction des couches,
repérables d’abord sur les versants ou les talus,
puis recherchées en profondeur par le système de
puits et galeries signalés plus haut. Qu’ils aient été
imités par les premiers explorateurs de gîtes cuprifères n’a rien de surprenant : ainsi Paul Ambert
remarque la ressemblance entre les chantiers de
Cabrières et ceux de Jabline et souligne que plusieurs mines de silex de la région (Salinelles dans
le Gard, Mur-de-Barrez en Aveyron) ont débuté
au Néolithique final et sont donc, peu ou prou,
contemporaines des premières mines de cuivre
du secteur (Ambert, Carozza 1996, p. 46). Aux
mines de silex, on joindra aussi celles de Gava
(Barcelone, Espagne) (Alonso, Izquierdo 1990)
exploitées au Néolithique pour la variscite, un
minéral utilisé pour fabriquer des perles et pour
l’ocre. Or, dans ces galeries, circuleront plusieurs
siècles plus tard les mineurs ibériques en quête
de fer : ici encore les mines préhistoriques ont pu
servir d’exemple direct. Et si, comme on a pu le
penser (Cauuet 1999b, p. 37) les gisements d’or du
Limousin ont été exploités dès le Bronze moyen
puis au Bronze final (cf. les fragments de vases
de ces périodes trouvés dans des remblais des
aurières de Cros-Gallet), les travaux de l’âge du
Fer n’ont pu que s’inspirer de la tradition minière
née à ces périodes. Les mines de sel de Hallstatt,
en Autriche, constituent pour les Alpes un autre
jalon chronologique. On voit donc comment, du
Néolithique au Chalcolithique, puis au cours des
époques qui ont suivi, s’est constitué un véritable
savoir-faire, qui s’est enrichi au fur et à mesure des
nouvelles situations auxquelles les mineurs ont
dû faire face (par exemple la pénétration dans
un filon métallifère n’est pas la même que dans
une couche horizontale et exige une adaptation
des techniques). Outre l’accès aux mines, ce
savoir-faire de base concernait plusieurs autres
domaines : l’éclairage (de l’usage de la torche à
celui de la lampe en terre cuite), l’aérage (avec
le recours au feu pour créer des courants d’air,
par exemple), la circulation (l’usage des troncs
d’arbre munis d’encoches pour servir d’escalier),
l’abattage (fire-setting, outils divers), etc. Ce sont
là des pratiques qui sont devenues universelles
et dont il paraît souvent vain de s’acharner à
rechercher l’origine. Mais pas toujours, car une
découverte peut parfois permettre de faire émerger de ce savoir-faire anonyme une technique
originale.
Il en va de même en métallurgie. Aujourd’hui,
l’extraction des métaux repose sur des formules
chimiques et sur des procédés bien précis. Mais
comment est-on parvenu à fixer ces procédés ?
On s’est récemment posé la question à propos
de l’étain, de sa découverte et des conditions
permettant son usage, et aussi à propos de tous
les types de cuivre et de bronze. Curiosité, essais
et tâtonnements sont clairement à la base de ces
découvertes, et la conclusion s’impose : « The
experimental approach is clearly at the base of
all the metallurgic activity in antiquity » (Valera,
Valera 2003, p. 10-12). Les anciens métallurgistes
ont été des adeptes de la méthode expérimentale
bien avant que Claude Bernard ne lui confère ses
lettres de noblesse. Ainsi s’explique qu’en métallurgie, tout en tenant compte des caprices des
occurrences géologiques, on puisse, selon les cas,
expliquer l’apparition, ici ou là, de telle avancée
technologique soit de façon indépendante, soit
143
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
par transfert. L’un des cas les plus flagrants est
celui de l’utilisation de sulfures, en particulier des
sulfures de cuivre et des sulfures polymétalliques.
Longtemps on avait pensé qu’en métallurgie, le
progrès était linéaire. Ainsi, on ne pouvait avoir
recherché et utilisé les sulfures qu’au terme d’un
long processus commençant par la maîtrise de la
réduction des oxydes, de métallurgie plus simple,
et se poursuivant par celle de sulfures, plus difficiles à traiter. Et cette évolution avait demandé du
temps : aux métallurgies protohistoriques correspondait le traitement des oxydes, aux métallurgies
postérieures, celui des sulfures. Mais voilà qu’à
Cabrières (Hérault), les métallurgistes de l’Énéolithique produisent du cuivre à partir d’un sulfure
complexe, la tétraédrite (Ambert et al. 2003, p. 5455), bouleversant ainsi le modèle classique de
l’histoire de la métallurgie. Et cela pose bien des
problèmes, à commencer par le caractère autonome de cette première métallurgie du cuivre :
même si on le met en avant, on hésite à penser
que ce phénomène ait pu se produire de façon
totalement indépendante, et l’on a invoqué pour
Cabrières l’exemple, voire l’influence plus ou
moins directe, des populations énéolithiques de
l’arc alpin, qui du Piémont à Saint-Véran (HautesAlpes) maîtrisaient cette technique (Ambert,
Carozza 1996, p. 51-52 ; Ancel 1997 ; Barge 1997 ;
Ploquin et al. 1997). Mais ne peut-on, méthode
expérimentale aidant, penser à des “inventions”
autonomes ? Autre problème : un tel acquis l’est-il
pour toujours ? Quelque 3 000 ans plus tard, à La
Tène moyenne, dans les mines d’or du Limousin,
à 300 km de Cabrières, on sait également traiter
les sulfures, ici sulfures aurifères (grillage, etc :
Cauuet, Tollon 1999) : est-ce une redécouverte ?
Ou bien les jalons intermédiaires ont bien existé,
mais sont inconnus de nous ? Dans bien des cas,
comme ici, la question des transferts technologiques en métallurgie antique risque de recevoir
une réponse ambiguë et souvent la seule façon
d’envisager sereinement les choses est de poser
les problèmes.
Dans les lignes qui précèdent, nous avons déjà
eu l’occasion de dire ce que nous entendions par
machines ou procédés spécifiques, autrement dit
des structures, des appareils ou des méthodes
dont les caractères sont si précis que, si on parvient à les identifier en un lieu donné, différent
de celui où ils paraissent avoir été inventés, on
peut penser qu’il s’agit là effectivement d’un
transfert technologique et non d’une découverte
spontanée et indépendante. Je ne prendrai qu’un
144
exemple : les laveries planes du Laurion (Grèce)
où, à l’époque classique, a été appliquée une
méthode sophistiquée de lavage, dans une configuration si originale qu’on ne la retrouve nulle
part ailleurs dans l’Antiquité (Ardaillon 1897, p. 6374 ; Domergue 1998a ; Kepper 2004).
En Gaule donc, comme ailleurs, s’est constitué, au cours de presque quatre millénaires, du
Néolithique à la fin de l’indépendance, un corpus
de techniques minières que l’on peut qualifier
d’“universelles” en ce sens qu’on les retrouve
plus ou moins semblables un peu partout dans
le monde et dans lesquelles ont pu se fondre des
techniques spécifiques nouvelles. Quant à l’art
des mines romain, il a hérité, comme les autres, un
savoir-faire traditionnel qui lui est venu de toutes
les régions connues du monde ancien, en particulier celles qu’il a dominées, parmi lesquelles la
Gaule. Pouvons-nous donc, dans cette masse de
techniques minières, minéralurgiques et métallurgiques, en repérer certaines que l’on puisse, avec
plus ou moins de certitude, attribuer à une tradition plus spécifiquement gauloise ?
L’art des mines
Trois questions semblent pouvoir être discutées de ce point de vue : l’utilisation d’un
travers-banc pour l’évacuation des eaux de mines,
dans la mesure où les techniques de boisage dans
les chantiers souterrains, l’exploitation hydraulique des gîtes alluviaux.
Dans les cas où l’exploitation d’un gisement
métallifère était gênée par l’existence d’une nappe
phréatique, l’usage du travers-banc d’exhaure a
constitué un progrès considérable pour l’évacuation des eaux de mines dans la mesure où, grâce
à des conditions topographiques favorables (existence d’un dénivelé du terrain), le traçage d’une
galerie à partir d’un point bas jusqu’au gisement
permet d’assécher la partie de ce dernier qui se
trouve au-dessus de lui. À compter du IIIe s. av. J.-C.,
on en connaît plusieurs exemples (La Fagassière,
Les Fouilloux) dans les mines d’or du Limousin,
où il a permis aux mineurs de descendre à 40 m
de profondeur, dont 30 m au-dessous du niveau
hydrostatique (Cauuet 2004, p. 66-67). Il était aussi
en usage dans les mines du sud de l’Espagne à
l’époque de Posidonius, et la description à la fois
évocatrice et emphatique qu’en donne ce dernier,
grand voyageur, semblerait indiquer qu’il en voit
pour la première fois (ap. Diodore, V, 37, 3). Par
ailleurs, la péninsule Ibérique se signale par le
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
très grand nombre de travers-bancs d’exhaure
dans les mines romaines (Domergue 1990, p. 435436) et il semble bien que le plus ancien qu’on y
connaisse remonte à l’âge du Bronze (Domergue
1987, p. 754 ; 1990, p. 434). Mais celui de la mine de
cuivre de Campolungo (Italie) est daté du premier
âge du Fer, par des 14C effectués sur des mobiliers
en bois (auge pour transporter le minerai, fiches
destinées à servir de torches) (Ancel et al. 1998).
En réalité, un tel équipement est-il un procédé
spécifique, dont on puisse attribuer l’origine à
une région minière donnée : l’Italie ? l’Ibérie ? La
Gaule ? Ou bien fait-il partie de ce domaine que
nous avons appelé le savoir-faire traditionnel ? Car,
dans le langage technique, l’évacuation des eaux
de mine par travers-banc est qualifiée d’exhaure
“naturelle” et y avoir recours, paraît, pour ainsi dire,
couler de source.
Le deuxième point à examiner est celui des
techniques d’étayage utilisées dans les chantiers
d’abattage du minerai, ou dépilages. Lorsque
le minerai qui remplit la caisse filonienne est
abattu en totalité, un tel travail laisse des vides
souterrains, dangereux pour les mineurs ; il faut
en particulier éviter l’effondrement des parois.
Il y a deux façons principales d’y parvenir :
la première est de laisser en place, de loin en
loin, des parties de filons, appelées piliers ou
clés, qui maintiennent l’écartement des parois.
La seconde est d’utiliser des étais en bois, une
technique qui permet l’abattage total du minerai. L’étayage qui a été mis en œuvre dans les
dépilages des mines d’or gauloises du Limousin
(ill. 8) – une région densément boisée, qui offrait
aux charpentiers chargés de cette tâche des
essences (chêne, hêtre, bouleau) bien adaptées
aux conditions d’exploitation de ces mines
– a été étudié par B. Cauuet avec une attention
spéciale à La Fagassière (ill. 9 ; Cauuet 1997 ;
2000 ; 2004, p. 53-62 et 95-100) : il est particulièrement sophistiqué. Ce ne sont pas, en effet, de
simples troncs d’arbres bloqués en force, de loin
en loin, entre les deux parois, un procédé dont
témoignent dans bien des mines antiques les
niches se faisant face sur les deux côtés du filon.
En fait, les boiseurs gaulois ont utilisé un système de cadres verticaux, constitués chacun par
deux montants mortaisés, placés face à face et
maintenus écartés par des poussards tenonnés.
Derrière ces cadres disposés à intervalles réguliers, étaient glissées des planches superposées
horizontalement ; l’intervalle entre les planches
et les irrégularités de la paroi était colmaté par
un bourrage de végétaux divers.
8. Une aurière du Limousin en cours de fouille : boisages gaulois à la mine des Fouilloux (Haute-Vienne)
(cliché B. Cauuet).
145
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
9. Boisage par cadres verticaux retrouvés in situ dans la mine d’or gauloise de La Fagassière (Haute-Vienne) (B. Cauuet del.).
Si la production d’or en Limousin paraît s’être
arrêtée peu après la Conquête, l’héritage de pratiques minières, telles que celles que l’on vient
de voir s’est maintenu dans les mines de plomb
argentifère de la région voisine, l’Auvergne, où
elles sont attestées de l’époque celtique jusqu’au
IIe s. ap. J.-C. (Marconnet à paraître ; Vialaron 1999 ;
Cauuet, Domergue, Urteaga 2005, p. 430-432). On
a en effet retrouvé dans les dépilages des mines
d’argent gallo-romaines de Pontgibaud dans le
Puy-de-Dôme (ill. 10 ; Marconnet à paraître) les
mêmes techniques de boisage que celles qui
avaient été en usage dans le Limousin quelques siècles plus tôt, à cette différence près qu’à
Pontgibaud, les cadres sont disposés horizontalement et maintenus en place par des étais
également horizontaux, coincés en force entre
146
les deux parois. Le basculement des cadres à
l’horizontale a permis d’espacer l’étayage et donc
d’utiliser moins de cadres. En tout cas, au niveau
régional, l’héritage est évident.
En parcourant plus haut la géographie
minière de la Gaule, nous avons mentionné plusieurs mines en alluvions (ill. 11) exploitées avec
l’aide de la force hydraulique, à Cambo-les-Bains
(ill. 12) chez les Tarbelli (or), aux Monts-deBlond chez les Lémovices (étain) et les Éduens
au voisinage d’Autun (étain également). Ces
exploitations sont encore mal connues et ne
sont pas datées. Nous ne savons si elles sont
antérieures à celles d’Espagne dont on connaît
le développement spectaculaire sous le HautEmpire romain principalement (Domergue 1990,
p. 463-491). Pour l’instant, en tout cas, le témoi-
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
10. Boisage par cadres horizontaux retrouvés in situ dans la mine d’argent gallo-romaine de Pontgibaud (Puy-de-Dôme)
(C.Marconnet del.).
147
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
11. Le « Camp de César » (Itxassou, Pyrénées-Atlantiques) : vaste mine d’or antique en alluvions. Au premier plan,
des chantiers-ravins alimentés en eau par des canaux ; au second plan, des chantiers-cirques (cliché B. Cauuet).
gnage le plus ancien dont nous disposions sur
ce type d’exploitation est celui de Strabon (IV,
6, 7), qui évoque les grands lavoirs d’or que, vers
le milieu du IIe s. av. J.-C., les Salasses, un peuple
celte de la Cisalpine, en utilisant sur une grande
échelle l’eau de la Doire, faisaient fonctionner
au pied des Alpes, dans le Piémont italien. On a
identifié les restes de ces anciens travaux dans la
Bessa, un vaste dépôt alluvial aurifère, au débouché du Val d’Aoste (Piana Agostineti et al. 1995,
p. 210-212 ; Domergue 1998b ; Gambari 1999).
Peut-être les impressionnants vestiges que nous
avons aujourd’hui sous les yeux sont-ils dus, pour
l’essentiel, aux Romains qui, comme l’indique
Strabon, prirent la suite des Salasses en utilisant
leurs mêmes procédés de mise en valeur. Mais
la description de Strabon est suffisante pour que
nous puissions identifier ici, pour la première fois,
et attribuer aux Salasses une méthode d’exploitation que Rome saura développer et perfectionner,
spécialement en Espagne (Domergue 1990, p. 489490). Cette région réunissait, en effet, toutes les
conditions pour qu’une telle méthode d’exploitation y naisse et y acquière ses caractéristiques de
base. Et l’étude de l’étymologie du mot arrugia,
qui, d’après Pline (Histoire Naturelle, XXXIII, 66-78)
désigne cette technique, ne semble pas s’y oppo-
148
ser, même si l’origine d’une partie, au moins, du
vocabulaire minier qui accompagne ce vocable
pourrait bien être hispanique (Domergue 1990,
p. 486-487 ; de Hoz 2003, p. 81-83, 94). La seule
question qu’on pourrait se poser, c’est de savoir
si, en raison de liens particuliers qui auraient pu
exister entre les populations celtiques à travers
l’arc alpin, cette technique a transité par la Gaule
avant d’être développée par les Romains en
Espagne. Mais d’une part nous manquons d’information sur la chronologie des vestiges reconnus
sur le sol gaulois ; d’autre part, des jalons existent
dans l’Hispania Ulterior à l’époque républicaine
(témoignage de Strabon, III, 2, 8 ; peut-être aussi
des restes de travaux : Domergue 1990, p. 489) qui
permettent de penser que le transfert s’est fait
directement d’une péninsule à l’autre par le biais
des exploitants romains.
Rares sont donc les domaines de l’art des
mines où l’on puisse assigner une origine gauloise
à telle technique ou à tel procédé. En réalité, il
n’y a guère que la technique caractéristique des
assemblages utilisés pour le boisage des chantiers
souterrains dont on ait pu montrer la permanence
des mines gauloises aux mines romaines dans
une région donnée (Auvergne-Limousin). Quant à
l’exploitation hydraulique des dépôts alluviaux, si
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
12. Bas fourneau « classique » des Martys (Aude) (J.-M. Fabre del.).
son invention paraît être le fait d’une population
celtique du Piémont italien, son usage en Gaule,
dans les mines d’étain ou d’or, est mal daté et
l’on ne peut estimer la place qu’occupent ces
dernières dans le développement de cette technique. Enfin, le travers-banc d’exhaure est-il une
technique naturelle “de base”, ou bien a-t-il été
inventé en un lieu précis ? Dans ce dernier cas, le
lieu d’origine est toujours susceptible de changer,
au gré des découvertes.
La minéralurgie
Il en va de même pour le seul aspect de ce
domaine auquel nous nous intéresserons : l’usage
du moulin rotatif en pierre pour le broyage du
minerai. En effet, si cet appareil, sous la forme
qui est la sienne dans l’occident antique, semble
être né dans le monde ibérique au VIe-Ve s. av. J.-C.
(Alonso Martínez 1997), son usage en minéralurgie est, pour l’instant, attesté pour la première fois
dans les mines d’or du Limousin (Domergue et
al. 1997, p. 48) à la fin du IIIe s. Mais cette primauté
n’est pas à l’abri d’une découverte nouvelle.
La métallurgie
En métallurgie, nous nous intéresserons au
fer. C’est, parmi les métaux utilisés dans l’Antiquité, celui dont la métallurgie a été maîtrisée le
plus tard, parce qu’elle est difficile. On attribue
en général aux Celtes qui ont occupé l’Europe
centrale entre le Ve et le IIIe s. av. J.-C. un grand
rôle dans la diffusion du fer vers l’ouest et le sud
(Pleiner 2000, p. 33-35, 269-272). Nos réflexions
ne vont pourtant pas porter sur cette question,
parce que, dans ce domaine, la documentation
est lacunaire et difficile à maîtriser. Nous préférons
donc nous intéresser à un type précis de fourneau, le fourneau “classique” des Martys, le centre
sidérurgique romain bien connu de la Montagne
Noire, et à son origine. L’un de nous a déjà posé
149
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
le problème dans une publication (Domergue à
paraître). Nous le reprenons ici, en l’élargissant.
Le modèle “classique” du bas fourneau des
Martys (ill. 13) apparaît vers le milieu du Ier s. av.
J.-C. (Domergue, Jarrier, Tollon 1999). Il comprenait les éléments suivants : un socle de 0,90 m de
hauteur et de section plus ou moins rectangulaire
(0,90 x 0,60 m), construit en gros blocs de granite
et pris dans une terrasse ; au-dessus, une cheminée édifiée en plaquettes de schiste et de granite,
haute d’environ 1,30 m à 1,40 m, ; au niveau de la
terrasse, trois conduits de 4 à 6 cm de diamètre,
ménagés dans la paroi (un à l’arrière, un de chaque côté), inclinés à 49° et dirigés vers la partie
antérieure de la cuve, assuraient la ventilation
du fourneau ; la scorie s’écoulait par l’avant. Tous
les fourneaux sont orientés à l’est. Il s’agit d’un
modèle solide, au socle bien isolé, construit pour
durer et fonctionner longtemps. L’utilisation de
ce type de fourneau implique la destruction de
la partie antérieure (ou “porte”) à la fin de chaque opération, afin d’extraire le massiau de fer
obtenu. Effectivement, on n’a jamais retrouvé un
fourneau complet, l’avant manque toujours. Aussi
ignore-t-on comment se présentait cette partie.
Aujourd’hui, à la suite de plusieurs expérimenta-
tions, nous sommes tentés de restituer, au-dessus
du trou d’évacuation de la scorie, un quatrième
conduit de ventilation.
Dans l’Antiquité, un tournant dans les techniques de production a été atteint lorsqu’on est passé
du fourneau à scorie piégée et à utilisation unique,
qui datait du Hallstatt, au fourneau à écoulement
de scorie et à utilisations nombreuses. En Gaule,
sur les sites des Clérimois, près de Sens (Yonne) et
de La Bazoge, près du Mans (Sarthe), où l’activité
sidérurgique s’étale sur plusieurs siècles, ce phénomène se produit à La Tène finale (Dunikowski,
Cabboi 2001, p. 193-195). Désormais, on adopte
le bas fourneau à écoulement de scorie : aux
Clérimois, un four “en dôme”, creusé généralement
sur la pente d’un talus, coiffé le plus souvent d’une
coupole en sablier et muni de divers systèmes de
ventilation (type Clérimois II) ; près du Mans, sur
le site de L’Aunay-Truchet, un modèle au socle de
forme légèrement tronconique construit en argile
sableuse au fond d’une fosse d’accès, muni de
cinq conduits de ventilation au niveau du sol et
complété sans doute par une cheminée. Dans les
deux cas, il s’agit de modèles de grand volume
(0,90/1,40 m de diamètre intérieur pour le type
des Clérimois ; 0,70/0,80 m pour celui de L’Aunay-
13. Bas fourneau à scorie écoulée de L’Aunay-Truchet (La Bazoge, Sarthe) (cliché C. Domergue). Seule a été conservée
la partie de la cuve construite en argile au fond de la fosse d’accès ; les emplacements des cinq conduits de ventilation
sont visibles au ras du sol.
150
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
Truchet), dont la maîtrise suppose un savoir-faire
remarquable.
Les fouilleurs des Clérimois et de La Bazoge
ont rapproché globalement ces divers appareils
du fourneau classique des Martys et concluent
ainsi : « L’impression qui ressort est qu’une même
technologie avec des variations locales se diffuse
sur le territoire des Gaules dès La Tène finale,
sans que l’on puisse aujourd’hui définir ici la
part des apports d’origine celtique et romaine »
(Dunikowski, Cabboi 2001, p. 200).
En fait, le type qui est morphologiquement
le plus proche du modèle des Martys est celui
de L’Aunay-Truchet : dimensions comparables,
présence de conduits de ventilation inclinés à la
hauteur de la couronne du socle, enterré dans
un cas, encastré dans une terrasse dans l’autre,
destruction de l’avant du four pour l’extraction du
massiau.Y a-t-il un lien ?
Vu l’ancienneté et la solidité de la tradition
sidérurgique gauloise, ce lien est tout à fait possible. Mais il ne faut pas oublier l’existence d’autres
foyers sidérurgiques en Europe occidentale – l’Ibérie, l’Italie – qui, étant depuis plus longtemps dans
l’orbite de Rome, ont pu eux aussi, peu ou prou,
jouer un rôle dans la constitution de la sidérurgie
romaine et influer sur les modèles de fourneaux
adoptés par cette dernière, en particulier celui des
Martys.
L’Ibérie ? On ne saurait la négliger. On sait
l’ancienneté globale des mines d’au-delà des
Pyrénées. S’agissant du fer, les gîtes de la Sierra
Nevada ont été exploités entre le Ve et le Ier s. av.
J.-C. et ceux de la Sierra Menera (provinces de
Teruel et de Guadalajara) au IIe et au Ier s. av. J.-C.
(Burillo 1998, p. 278-284 ; Domergue 2004, p. 138139). Malheureusement, nous ignorons tout des
modèles de bas fourneaux alors en usage outre
Pyrénées, et notre désir de comparaison s’arrête
là.
L’Italie ? Un site est majeur : Populonia. Les
auteurs anciens, l’archéologie ont fait connaître
l’ampleur de la production de fer, en particulier
à partir des minerais de l’île d’Elbe, à l’époque
étrusque (VIe-IVe s. av. J.-C.) et sous la domination
romaine (IIIe-IIe s. av. J.-C.). On a souvent évoqué
les montagnes de scories du golfe Baratti, mais
elles ont peu été explorées, et l’on dispose de
plus d’analyses archéométriques (par exemple,
Benvenuti et al. 2000 ; Chiarantini et al. 2003)
qu’on ne connaît de vestiges archéologiques bien
étudiés. La coupe et la photographie d’un fourneau du IIe s. av. J.-C. publié voilà près de vingt ans
(Voss 1988) sont insuffisants pour qu’on puisse
comprendre sa structure et son fonctionnement.
Une structure semblable (à moins que ce ne soit
la même ?) aurait été trouvée dans ce même
secteur, à l’occasion de petites prospections entre
1994 et 1999 (Wiman, Ekman 2000-2001, p. 119120) et les restes de plusieurs fours du VIe-Ve s. av.
J.-C., munis de tuyères, ont été mis au jour non
loin de là, à Fullonica (Corretti, Benvenuti 2001,
p. 140-141). Mais ces informations hâtives et partielles manquent de précisions et d’illustrations
utilisables : on ne peut même pas savoir s’il s’agit
de véritables fourneaux de réduction ou de foyers
de forge. Dans ces conditions, on ne peut guère
argumenter sur le poids que la technologie développée à Populonia a pu exercer sur la sidérurgie
romaine.
Bref, si l’on ne tient compte que de la documentation actuellement disponible, ce serait
l’hypothèse gauloise qui tiendrait la corde. Elle
a pour elle de bons arguments, en particulier la
vitalité de quelques centres sidérurgiques gaulois
et l’existence, à La Tène finale, d’un modèle de
bas fourneau à écoulement de scorie dont le
type de L’Aunay-Truchet serait une illustration. Le
bas fourneau “classique” des Martys pourrait être
alors considéré comme le fruit de l’interpretatio
romana d’un modèle gaulois analogue à celui de
L’Aunay-Truchet. La version romaine des Martys
serait d’une part plus rationnelle et plus “ergonomique”, grâce à l’aménagement d’une terrasse où
sont encastrés les socles et qui conserve les deux
niveaux de travail (devant le fourneau et autour
de la cheminée), tout en évitant les inconvénients
de la fosse d’accès (espace étroit, réceptacle des
eaux de pluie). Elle serait aussi particulièrement
bien adaptée aux conditions locales, les puissants
blocs de granite du site remplaçant de fragiles
parois d’argile et de sable dans la construction
du socle. Mais, le fourneau de L’Aunay-Truchet
n’a-t-il pas lui-même été influencé par un autre
modèle, méditerranéen ou autre ? La quête paraît
interminable.
On voit, par ce dernier exemple, à quel point
ces problèmes d’origine des techniques sont difficiles à résoudre. C’est essentiellement par manque
de documentation, car il est vraisemblable qu’un
jour chacune d’elles est apparue quelque part
pour la première fois. Mais, quand n’en subsistent ni trace matérielle, ni enregistrement écrit,
comment remonter à la première manifestation ?
D’où ce stock de connaissances de base dont
l’origine, disions-nous plus haut, se perd dans la
151
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
nuit des temps. Parfois cependant l’acharnement
du chercheur ou une découverte nouvelle permet de mieux isoler l’une d’elles, de mieux la
caractériser, de mieux la comprendre. Nous avons
essayé de le faire ci-dessus à propos de quelques
techniques minières ou métallurgiques, avec un
succès mitigé.
DE LA TÈNE MOYENNE ET FINALE
À L’ÉPOQUE ROMAINE :
L’ORGANISATION DE LA PRODUCTION
Tout le monde s’accorde à reconnaître
qu’avec l’arrivée des Romains, partout la production change d’échelle. C’est particulièrement
vrai pour les métaux. Un tel effet repose sur deux
causes : l’accroissement de la demande consécutive à l’agrandissement de l’Empire, la mise
en place d’une organisation qui réponde à cette
demande. Avec Rome, nous passons en quelque
sorte à l’“économie-monde” et ce passage se marque par une organisation et une rationalisation
accrues. En Gaule, la production métallique y
est totalement soumise. Très vite, les formes d’exploitation typiquement romaines s’imposent dans
ce domaine. Le pouvoir romain arrive en Gaule,
riche d’une expérience acquise dans des provinces antérieurement conquises et dont la richesse
en métal était un des atouts, principalement la
Macédoine et l’Ibérie. Les choses ne traînent pas.
En entrant dans le cadre des cités, les peuples
gaulois perdent aussi leur autonomie. Le pouvoir
romain tranche et coupe.
Ainsi l’abandon des mines d’or du Limousin
coïncide avec la conquête romaine. Il est difficile
de croire que de tels revenus aient pu passer
inaperçus des Romains lors du cens des Gaules,
décidé par Auguste en 27 av. J.-C. et encore en
cours en 15-16 de notre ère (Dion, 53, 22, 5 ; Tacite,
Annales, I, 31 et II, 6). Aussi a-t-on pensé que cette
fermeture était due à un changement de stratégie
de la part de Rome, qui, au lieu d’une exploitation
intensive d’un petit nombre de mines “riches”,
rassemblées sur un espace bien délimité (le
Limousin), choisit la mise en valeur extensive des
immenses, mais “pauvres”, gisements alluviaux
du nord-ouest de l’Espagne (Cauuet, Domergue,
Urteaga 2005, p. 455). Une telle interprétation illustre le changement de perspective : Rome raisonne
à l’échelle “monde” et non à l’échelle des cités.
Les formes d’exploitation romaines classiques (Domergue 1990, p. 227-307 ; 2004, p. 222-229 ;
Oreja, Sastre 1999, p. 159-164 ; Mateo 2001) ne
152
tardent pas à apparaître. Dès la fin du IIe s. av. J.-C.
et surtout au Ier s., les sociétés minières romaines
investissent les secteurs miniers, telle la societas
des mines d’argent du sud-Aveyron et du nordHérault (Gourdiole, Landes 1998). Des domaines
miniers sont concédés à des particuliers – les cuivres “livien” ou “sallustien” mentionnés par Pline
l’Ancien (Histoire Naturelle, 34, 3, 4) – ou aux cités.
Ainsi,les Ségusiaves exploitent des mines de plomb,
sans doute dans les Cévennes et en commercialisent le métal sous forme de lingots marqués à
leur nom (CIL XII, 5 700 ; Laubenheimer-Leenhardt
1973, p. 128-129). Narbonne a pu bénéficier des
revenus de ferrariae du voisinage, qu’au IIe s. ap. J.C., un notable de la cité, T. Iulius Fadianus, avait
pris à ferme (CIL XII, 4 398). Enfin, la cité des
Éduens aurait contrôlé les mines de fer du district
Morvan-Auxois (Mangin et al. 1992, p. 231-234).
Par ailleurs, au début du IIIe s. ap. J.-C., une partie
des revenus des ferrariae revenait au Conseil des
Gaules, par l’intermédiaire d’une institution, l’arca
ferrariarum, dont un notable Viducasse, T. Iulius
Sollemnis, était l’administrateur avec le titre de
iudex (CIL XIII, 3 162 ; Sablayrolles 1989, p. 160).
Sous le Haut-Empire, et peut-être dès l’époque
augustéenne, des domaines miniers impériaux
ont été constitués. C’est le cas dans des mines de
plomb de Germanie, peut-être celles du secteur de
la Germania libera un temps (de 12 av. à 9 ap. J.-C.)
contrôlé par Rome, sous Auguste (Rothenhöfer
2004) : les lingots de plomb de Rena Maiore mentionnés plus haut paraissent l’attester (Riccardi,
Genovesi 2002, p. 1319-1322). Tibère, quant à lui,
possédait, à Labastide-l’Évêque (Aveyron), dans
la région de Villefranche-de-Rouergue, des mines
d’argent que travaillait une troupe d’esclaves, sous
la férule d’un esclave impérial, Zmaragdus (CIL
XIII, 1 550). Au moins, à partir de la fin du IIe s. ap. J.C., on voit les fabriques de fer impériales de Gaule
gérées par des procuratores ferrariarum gallicarum,
de rang équestre (Sablayrolles 1989, p. 157-159).
Parallèlement, cependant, d’autres ferrariae sont
entre les mains de particuliers, comme au début
du IIIe s., celles de Memmia Sosandris (CIL XIII,
1 811 ; Sablayrolles 1989, p. 159-160), de la même
façon que, sous Auguste, des mines de cuivre en
Gaule avaient été la propriété de Livie (Pline,
Histoire Naturelle, XXXIII, 3).
Pour ce qui est de la production, le complexe
sidérurgique romain de la Montagne Noire paraît
être un excellent modèle d’organisation : au plan
local d’abord (Fabre 2004), avec la division en
ateliers, les aménagements collectifs, la fourniture
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
des équipements techniques nécessaires, parfois
venus d’Italie (les molae asinariae de Volsinii :
Domergue, Jarrier, Tollon 1999, p. 51-52), l’approvisionnement en vin et autres marchandises. Au
plan des débouchés ensuite, s’il est vrai que,
comme semblent l’indiquer les études archéométriques, une partie au moins des cargaisons de
barres de fer présentes dans les épaves du Ier s. av.
et du Ier s. ap. J.-C., localisées devant l’embouchure
d’un bras du Rhône, près des Saintes-Maries-de-laMer provenait bien de la Montagne Noire (Long,
Rico, Domergue 2002 ; Coustures et al. 2003 ; à
paraître). On a aussi supposé que ce fer avait peutêtre été destiné d’abord aux légions de César puis
aux armées romaines stationnées dans les camps
du Rhin (Domergue et al. 2003). C’était une façon
d’écouler au moins une partie du fer fabriqué et
conditionné par les ateliers de la région des Martys,
dont la production a été évaluée à quelque 80 000
tonnes au cours de trois siècles (Decombeix et al.
1998 ; 2000). Le fer a été, à cette époque, le métal le
plus indispensable à l’économie tant domestique
que publique, la Gaule était riche en mines de
fer, le pouvoir romain s’est logiquement ingénié à
“doper” la production de ce métal, les résultats ne
se sont pas fait attendre : ce que nous venons de
dire ci-dessus le montre.
L’organisation romaine : un bulldozer. Que
reste-t-il de l’organisation gauloise de la production des métaux ? Au temps de l’indépendance, les
Pétrocores, les Bituriges, les Tarbelli, les Gabales, les
Rutènes devaient exploiter pour leur compte les
mines métalliques qui, selon Diodore et Strabon,
se trouvaient sur leur territoire respectif, et la gestion de ces dernières reposait sans doute entre
les mains soit de magistrats désignés à cet effet,
soit des hauts personnages de la cité. La conquête
romaine a bien sûr changé tout cela : les mines
ont échappé aux cités, sauf concession formelle à
telle ou telle d’entre elles (cf. plus haut l’exemple
des Ségusiaves, des Narbonnais, etc.) et elles ont
été gérées, comme le montrent les exemples énumérés ci-dessus, à la romaine. De l’organisation
gauloise, il ne reste rien, sinon le souvenir qui en
transparaît, peut-être, dans certains noms d’agglomérations ou de magistratures, fantômes sans vie,
dont on voudrait évoquer maintenant l’ancienne
réalité.
Cela suppose d’abord que l’on admette une
hypothèse développée ailleurs (Pailler, à paraître), selon laquelle, en Gaule, dès une époque
pré-romaine ancienne, *arganton désignerait l’or
et non l’argent. Dans cette hypothèse, la langue
gauloise (Delamare 2001, p. 46) semblerait ne
pas avoir eu de mot spécifique pour désigner
l’argent, ce qui s’accorderait avec ce que nous
disions plus haut du manque d’intérêt des Gaulois
pour ce métal. On identifie d’autre part pour
le moins deux séries de toponymes celtiques :
ceux en –rate et ceux en –magos. Parmi les
premiers, se rangent divers *Argantorate (étymologiquement “le fort de l’or”) connus en France :
Argantorate-Strasbourg (Bas-Rhin) et deux autres
*Argantorate attestés sous le nom d’Argentré,
l’un en Ille-et-Vilaine, l’autre en Mayenne. Or tous
ces *Argentorate se trouvent dans des zones
d’orpaillage reconnues. L’exemple du Rhin est
particulièrement bien documenté, comme on l’a
vu plus haut, spécialement entre Bâle et Mayence,
et il faut alors joindre à Argentorate-Strasbourg un
autre toponyme, Argantovaria (“le peuple de l’or”,
Bisheim), situé en amont. Dans ce cas de “l’or du
Rhin”, cette interprétation s’ajuste à l’affirmation
de Diodore (V, 27, 1) selon laquelle les Gaulois de
ces régions exploitaient traditionnellement l’or et
non l’argent.
Dans la série des toponymes en –magos se
trouvent d’abord des Argantomagos -Argenton
(ou Argentan), qui paraissent liés à des zones
de production d’or filonien, celle du Limousin
pour Argenton-sur-Creuse, celles de la Mayenne
et du filon des Miaules pour Argentan (Orne)
et Argenton-d’Allonnes (Maine-et-Loire). L’idée
essentielle serait que ces “plaines-marchés de
l’or” (sens précis d’Argantomagos) assuraient le
débouché de ces produits symétriquement au
rôle joué par les “forts de l’or” (-rate, comme
dans Argantorate) dans les zones d’orpaillage
(ill. 14). Appartient à la même série le toponyme
Cassinomagos-Chassenon (Charente), qui serait
donc le “marché-débouché de l’étain” (celui des
Monts-de-Blond ?), à partir de cass-/cassino- désignant l’étain (Bernardo Stempel 1998 ; Lambert
2003 ; Pailler à paraître).
S’agissant plus spécialement de l’or, il s’ensuit
que nous pouvons reconstituer une double série
de réseaux par lesquels la future Gallia aurifera
s’est fait connaître de ses voisins en les alimentant en or d’origine filonienne ou alluviale. Dans
la première catégorie figurent les ArgantomagosArgenton (ou Argentan), dans la seconde les
Argentorate-Argentré. L’ensemble du territoire de
la Gaule – si nous lui accordons une unité sans
doute en partie anachronique – était en quelque
sorte doublement structuré : par les cinq grands
fleuves, dont certains riches en or, providentielle-
153
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
14. Situation des toponymes formés sur *Argantorate et Argantomagos par rapport aux zones aurifères de la Gaule
(V. Serneels del.).
ment distribués, comme le dit en termes stoïciens
Diodore après Posidonius, mais aussi par l’articulation heureuse des massifs producteurs d’or
et des plaines propices au marché (magos). À
cette double structuration se surimposa celle des
limites de peuples : elles correspondent souvent à
des cours d’eau, tandis que des plaines-marchés,
zones de contacts et d’échanges, jalonnent ces
frontières (Jullian 1908 p. 230-239, Linckenheld
1936). L’exemple le plus caractéristique est, évidemment, celui d’Argenton-sur-Creuse, site dans
lequel il est extrêmement tentant de voir un des
principaux débouchés de l’or des Lémovices.
On est, ainsi, conduit à envisager la “greffe” de
bon nombre de ces productions locales et régio-
154
nales – parallèlement à celles de l’étain – sur le
fameux circuit international des métaux précieux.
Celui-ci prenait naissance en Cornouaille, pour
aboutir à la Méditerranée, par la Seine, la Loire
ou la Garonne. Ainsi pourraient s’expliquer le cas
d’Argentan et de la vallée de l’Orne en direction
de la Manche et de l’estuaire de la Seine, celui
d’Argenton-sur-Creuse et du tracé de la rivière
éponyme jusqu’à la Loire ; celui, enfin, de l’Argenton du Maine-et-Loire, qui se jette dans un affluent
de rive gauche de la Loire, comme de l’Argenton
d’Allonnes, sur la Sarthe, affluent de la rive droite.
Il faut, probablement, établir une relation étroite
entre certains de ces sites aurifères de l’ouest et le
réseau des sanctuaires de Mars Mullo, notamment
MINES ET MÉTALLURGIES EN GAULE À LA FIN DE L’ÂGE DU FER ET À L’ÉPOQUE ROMAINE
celui d’Allonnes et, plus encore, celui de Craon,
installé en pleine zone métallurgique.
Si l’hypothèse qui est développée ci-dessus est
juste, il faut bien reconnaître que ne subsistent que
de rares vestiges de ces réseaux économico-politiques. C’est aussi le cas de certaines magistratures
civiques – argantodannat et cassidannat – bien
attestées à La Graufesenque (Condate/Milllau
dans l’Aveyron) sur des comptes de potiers, et,
dans le cas de l’argantodannat, sur des monnaies
du nord et de l’est de la Gaule. Comme on le
pense avec vraisemblance (Lambert 2003, p. 134135 ; Pailler à paraître), ces magistratures ont dû
correspondre, vers la fin de l’époque gauloise, à
des fonctions monétaires et il est plausible qu’à
des périodes antérieures, les titulaires de ces
magistratures aient eu un pouvoir de contrôle
du commerce de l’or et de l’étain. En revanche,
à l’époque gallo-romaine, ils semblent n’avoir
plus été que des “magistrats techniques” chargés,
comme à La Graufesenque dans le milieu des
potiers, d’attester que les comptes étaient justes.
On pressent ainsi le rôle que ces “magistrats du
métal” ont dû jouer chez les peuples gaulois
(Lewuillon 2004 ; Pailler à paraître), et l’on mesure
le peu qui reste attaché à ces fonctions dans les
cités gallo-romaines. Comme on l’a vu ci-dessus,
l’autorité romaine a confisqué à son profit le
contrôle de la production des métaux.
CONCLUSION
En Gaule, avec la conquête romaine, l’activité
minière semble connaître un net développement
marqué par une forte augmentation de la production. C’est clairement sensible pour le fer dont
la production, là où elle existait déjà, s’intensifie, alors qu’elle se développe rapidement dans
des districts apparemment encore vierges. Le
grand potentiel sidérurgique de la Gaule n’a pas
échappé aux Romains qui l’ont mis en valeur de
manière systématique. L’Empire a besoin de fer,
la Gaule, avec ses mines et ses forêts, y pourvoira.
Pour le plomb, l’argent et le cuivre, les ressources de la Gaule sont de moindre importance
si on les compare à celles d’autres provinces.
Pour ces métaux également, les Romains vont
néanmoins développer les exploitations. Le cas
de l’or apparaît paradoxal : tout indique que les
Gaulois ont intensivement recherché et exploité
les minerais et sables aurifères. Avec l’arrivée des
Romains, cette dynamique semble s’essouffler et
l’activité décroître : conclusion étonnante quand
on observe l’ardeur avec laquelle ces mêmes
Romains se jettent sur les ressources de l’Ibérie, de
la Macédoine et plus tard de la Dacie. Le constat
s’affirme de plus en plus clairement. L’explication
demeure difficile à formuler.
Par ailleurs, sous l’occupation romaine, le
cadre socio-économique (organisation, gestion,
distribution) dans lequel se déroulait au temps
de l’indépendance la production des métaux disparaît totalement et il est probable que nous n’en
connaîtrons pas plus le détail que les préoccupations qui l’ont inspiré, sauf heureuse découverte
d’un texte ou d’une inscription. Pourtant, la dichotomie -magos/-rate, mise en évidence par l’étude
étymologique de certains toponymes d’origine
celtique, semble garder la trace d’une organisation
de la distribution des métaux sur le territoire de la
Gaule. Mais, dans le modèle que Rome a imposé
à cette dernière, il n’en subsiste aucun vestige, ce
qui rend probable qu’en fait, ce nouveau système
n’en a pas conservé le moindre élément.
Il n’en va pas de même quand on aborde
le domaine des techniques minières ou métallurgiques. Certes, nous l’avons vu, de la masse
d’un savoir-faire traditionnel – héritage de plusieurs générations de mineurs et de métallurgistes,
mélange d’échanges et d’emprunts faits à des
cultures diverses – il est difficile d’extraire une
technique qui soit typiquement gauloise et que
l’on puisse retrouver chez les mineurs et les métallurgistes à l’époque romaine. Nous y sommes
parvenus dans quelques cas, sans vraiment arriver
à des certitudes, mais en saisissant la chance qui
nous était donnée de pouvoir nous appuyer sur
des réalités assez solides pour au moins discuter
l’éventualité d’un transfert technologique.
Autrement dit, cet ensemble de connaissances
qui constitue le fonds commun de l’art des mines
et de la métallurgie n’est pas totalement fermé à la
recherche. Mais il ne faut pas vouloir tout éclairer
maintenant. Certes, disions-nous en commençant,
dans ce domaine la recherche est souvent vaine,
car l’origine de nombreuses techniques se perdait
dans la nuit des temps. Mais il suffit en effet d’une
heureuse découverte – y compris dans les domaines, aujourd’hui en pleins progrès, du lexique et
de la toponymie celtiques – pour que tel côté de
ce savoir de base en soit éclairé et que l’on en
distingue mieux l’histoire. Il y aurait aussi, dans
ce contexte de continuité, à examiner quand et
comment les nouvelles dénominations latines
des métaux ont remplacé les vocables celtiques :
ferrum à la place d’isarnon, aurum à la place d’ar-
155
CLAUDE DOMERGUE,VINCENT SERNEELS, BÉATRICE CAUUET, JEAN-MARIE PAILLER, SIMON ORZECHOWSKI
ganton, arrivée d’argentum = argent, stagnum ou
plumbum album au lieu de de cass- pour l’étain
etc. Toutefois, ce problème qui ne touche pas
seulement à la toponymie, mais concerne aussi
la « perception » des métaux par les intéressés et
l’évolution-structuration de cette perception, nous
entraînerait trop loin de notre sujet proprement
dit. Quoi qu’il en soit, en terminant, ne saurionsnous trop insister sur le caractère ponctuel et
circonstanciel de ce qui précède. Comme en
tout domaine, cette première estimation repose
sur l’information disponible au temps “ t ” et ne
préjuge pas ce que l’avenir apportera dans ce
domaine. Or, l’archéologie minière et métallurgique est une discipline encore jeune et les espaces
sur lesquels elle peut s’exercer sont vastes. En
France, comme ailleurs, nombre de ces espaces
sont totalement inconnus. Que livreront-ils dans
les années qui viennent ? Peut-être verra-t-on alors
la dette de l’art des mines romain envers ses prédécesseurs, spécialement nos ancêtres les Gaulois,
s’alourdir encore.
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